L’écoute électronique du fédéral : il faudrait surveiller ceux qui nous surveillent

Le premier ministre Harper en voyage à Bali s’est dit préoccupé par les révélations voulant qu’un service secret relevant directement de lui, le Centre de la Sécurité des Communications, espionne le Brésil. Il a refusé de faire d’autres commentaires en invoquant la sécurité nationale, le prétexte habituel quand une affaire embarrassante sur les espions canadiens sort dans les médias.

Harper va devoir la répéter souvent. Depuis le Brésil, le journaliste derrière ces révélations, Glenn Greewwald, en annonce d’autres concernant le CST canadien. Il est le mégaphone du lanceur d’alerte Edward Snowden, à l’origine des révélations à répétitions sur les écoutes électroniques planétaires de la National Sécurité Agency américaine et de ses comparses anglo-saxonnes.

Les prochaines risquent d’être encore plus embêtantes pour le gouvernement fédéral. Nous allons sans doute apprendre, documents à l’appui, que le CST espionne largement les Canadiens.

En 2011, alors qu’il était ministre de la Défense, Peter Mackay, a signé une directive ministérielle autorisant le Centre à mettre en œuvre un programme qui recueille des métadonnées sur les communications téléphoniques et informatiques des Canadiens. Sans mentionner directement cette initiative, le commissaire au CST, chargé de s’assurer qu’il fonctionne légalement, le juge à la retraite Robert Décary, écrit dans son rapport annuel qu’il n’est pas en mesure de vraiment déterminer si le Centre enfreint la loi. Il l’appelle à une plus grande transparence. Et le bon juge ne peut pas tout dire. Le ministre de la Défense et le CST lui-même doivent approuver le rapport qu’il transmet au Parlement. Le juge Décary n’a que onze employés, dont six enquêteurs, pour surveiller une organisation qui produit plus de données que l’ensemble des banques canadiennes réunies.

Dans les faits, l’écoule électronique des Canadiens se poursuit depuis des décennies. Dans un reportage au Téléjournal de Radio-Canada, le 21 octobre 1994, je révélais que le CST possédait la base de données MDN/P-PU-040 qui contenait, selon un annuaire descriptif, des « renseignements personnels et d’aspects délicats ». À la catégorie des personnes susceptibles d’être fichées, l’annuaire était on ne peut plus clair : « Ensemble de la population canadienne ». On précisait également que les dossiers contenus dans cette base de données ultrasecrète étaient conservés indéfiniment et qu’ils étaient spécifiquement exemptés de toutes les lois sur la protection des renseignements personnels et sur l’accès à l’information par un décret spécial du gouverneur en conseil. Je révélais que des dossiers sur le premier ministre du Québec Jacques Parizeau et de sa ministre Louise Beaudoin y figuraient.

À la suite de mon reportage, Lucien Bouchard, alors chef du Bloc québécois et de l’opposition officielle, avait réclamé aux Communes une commission d’enquête sur les activités du CST. Le premier ministre Chrétien avait répondu que personnellement, il n’avait jamais demandé que l’on espionne quelque politicien que ce soit au Canada. Ses propos avaient laissé perplexe le whip du Bloc, Michel Gauthier, qui avait souligné que le fait que Chrétien dise qu’il ne l’avait pas fait « personnellement » n’était pas très rassurant.

Des sources m’avaient confié que le CST espionnait le gouvernement du Québec à partir de postes d’écoute à la Citadelle de Québec ou au Manège militaire, juste derrière le « bunker » où se trouvent les bureaux du premier ministre et du Conseil exécutif.

À la suite de mes révélations et de celles de d’autres journalistes sur les opérations intérieures du CST, le gouvernement Chrétien a décidé en 1996 de créer le poste de Commissaire au CST. Comme on l’a vu plus haut, le juge Robert Décary, qui occupe actuellement la fonction, estime que sa surveillance du Centre est incomplète.

Le commissaire au CST devrait se rapporter directement au Parlement qui devrait pouvoir interroger ses responsables en commission parlementaire. Mais cela ne se fera jamais. Les partenaires américains et britanniques du CST, avec qui il vit en osmose, s’y opposeraient farouchement.