Frais de scolarité: sommes-nous des demi-civilisés?

Connaissez-vous Jean-Charles Harvey? C’est un journaliste et écrivain québécois mort en 1967. Libre penseur, homme de gauche, opposé au nationalisme borné de l’époque, il a écrit en 1934 un roman mémorable, Les demi-civilisés (réédité en 2002), qui lui a valu les foudres de l’Église et l’opprobre des bien-pensants.

Les demi-civilisés, ce sont, bien sûr, les francophones québécois, leur mentalité retardataire, leur blocage sociétal. Près de 80 ans plus tard, le titre m’est revenu à l’esprit en réfléchissant à la situation actuelle au Québec.

Un quarteron de fanatiques a réussi à détourner la révolte burlesque d’une minorité de rejetons de la petite bourgeoisie insatisfaite d’une hausse mineure de frais de scolarité. L’État, aux mains d’un parti mafieux, laisse la situation se détériorer pendant plus de deux mois avant d’envisager de prendre des mesures pour faire respecter la loi et la volonté de l’immense majorité des étudiants.

Entretemps, les actions violentes se sont multipliées, certaines destinées à créer des «perturbations économiques.» Les ordonnances des tribunaux sont bafouées et même ridiculisées.

J’ouvre une parenthèse pour signaler que les gens qui ont subi des pertes économiques à cause de ce boycottage unique dans l’histoire du Québec ont quand même un recours. Il est difficile de se soustraire aux jugements au civil.

Depuis deux mois, des organisations et des individus ont lancé des appels à la violence et aux perturbations économiques. Ces bourgeois et/ou futurs bourgeois ont de l’argent de famille ou vont en faire. Ils sont des proies idéales pour des poursuites au civil. Poursuivez les organisations et leurs chefs en justice! Faites payer les riches! Cassez les casseurs!

Il y a des conflits partout, mais...

On pourrait penser que le tort considérable que l’amalgame de gauchistes intégristes, de petits bourgeois et de casseurs cause à l’économie et à l’image du Québec aurait été unanimement dénoncé. Au contraire, les jeunes bourgeois en révolte jouissent du soutien des centrales syndicales, de Québec Solidaire, du Parti Québécois, des enseignants et des artistes. Sans les généreux subsides gouvernementaux, beaucoup de ces derniers ne survivraient pas longtemps de la simple qualité de leurs œuvres.

Il y a des conflits sociaux dans tous les pays du monde. Mais si on se compare avec les autres démocraties, on doit constater le caractère non civilisé de ceux que nous vivons régulièrement.

Ici au Québec, je soupçonne qu’il y a derrière ces comportements antisociaux quelque chose de plus sombre et de plus trouble. Comme un plaisir rageur d’autodestruction provoqué par le masochisme national d’une société qui n’a pas réussi un grand projet collectif depuis plus de deux cents ans.

Des exemples au cours des dernières décennies? Insatisfaits de leurs conditions de travail, les policiers de Montréal cessent le travail, laissant la rue aux casseurs et aux voleurs. Ensuite, ce furent les pompiers de Montréal qui se sont mis en grève. De multiples incendies détruisent des édifices d’habitation et ils mettent eux-mêmes le feu à certains endroits. Je me rappelle que des journaux européens s’étaient à l’époque étonnés de l’incivisme criminel des grévistes.

Depuis, il y a eu de multiples perturbations économiques graves de syndicats de cols bleus et du transport en commun causant, chaque fois, des pertes de millions de dollars pour le trésor public et des bouleversements dans les vies de millions de personnes tentant de se rendre à leur travail. 

Encore plus obscènes, les nombreuses grèves dans les institutions du secteur de la santé où les malades et les vieux sont pris en otage pour soutirer de l’argent à l’État. Je me rappelle avoir lu à ce sujet un article dans un journal français qui se rassurait que jamais en France un syndicat n’oserait agir ainsi.

Jean-Charles Harvey nous traitait de demi-civilisés. Son invective parait toujours d’actualité.