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Comment casser un syndicat avec une connexion Internet haute vitesse

Le conflit de travail qui pourrit depuis deux ans au Journal de Montréal se transporte à l'Assemblée nationale.

Pendant deux jours, des parlementaires se penchent sur une minuscule (et malgré tout profonde) réforme du Code du travail.

Depuis hier, la Commission de l'économie et du travail (CET) consulte patrons, experts et syndicats en vue de recommander au gouvernement une « modernisation » des règles concernant le recours aux briseurs de grève.

C'est en 1977 que le gouvernement a ajouté au Code du travail des dispositions antibriseurs de grève.

L'idée était d'empêcher qu'un employeur en conflit de travail puisse maintenir les activités de son entreprise en remplaçant ses syndiqués par des scabs.

Le gouvernement souhaitait, à l'époque, éviter les bagarres sur les piquets de grève et raccourcir la durée des conflits en poussant patrons et syndiqués à la table de négociation.

En deux mots, les dispositions antibriseurs de grève devaient faire en sorte qu'une grève ou un lock-out nuise autant aux syndiqués qu'au patron. Du coup, les parties avaient intérêt à s'entendre. Et vite.

Le Code du travail définissait alors un briseur de grève comme un employé qui prend la place d'un syndiqué « dans l'établissement » (c'est-à-dire, sur le lieu de travail). Par exemple : un ouvrier-scab qui remplace un ouvrier-syndiqué dans l'atelier d'usinage.

Or, ces règles ont été écrites en 1977, à une époque où ce qui allait devenir Internet n'était encore qu'un gugusse d'universitaires.

Le lock-out au Journal de Montréal démontre à quel point cette disposition n'est plus valide.

En 2011, tout ce qu'il faut pour fabriquer un journal, c'est un ordinateur à 1000 $ doté d'une connexion haute vitesse (de Vidéotron, idéalement).

La salle de rédaction (« l'établissement » mentionné dans la Code du travail) n'a plus aucune espèce de pertinence.

Ainsi, c'est en profitant de la désuétude de cette subtile disposition du Code du travail que Quebecor peut faire chanter ses lock-outés comme bon lui semble.

Grâce au travail des journalistes de l'agence QMI (qui ne sont pas physiquement dans les locaux du Journal de Montréal) le quotidien de Quebecor continue d'être publié chaque jour « en toute légalité ».

Hier, devant le CET, le patron de Quebecor Pierre Karl Péladeau n'a pas été très convaincant en affirmant que le rapport de force était actuellement à l'avantage des syndicats.

Qui peut franchement le croire?

Dans le conflit qui perdure depuis deux ans, seuls les syndiqués en bavent. Le Journal de Montréal, quant à lui, augmente son tirage (et sans doute ses profits). Et tout cela, dans le respect des lois qui régissent le monde du travail... parce que ces lois sont dépassées!

On peut dire ce qu'on veut des syndicats.

J'admets, comme l'a fait observer Richard Martineau dans sa chronique d'hier, que les syndicats en mènent large au Québec. Oui, il manque de démocratie dans nos machines syndicales. Mais c'est un autre débat.

Dans le cas qui nous occupe, refuser de moderniser les règles antibriseurs de grève reviendrait à renier l'esprit qui a mené à l'adoption de ces dispositions, il y a plus de trente ans.

Ce serait un retour en arrière, tout simplement.

Si le gouvernement ne rénove pas le Code du travail, les entreprises de l'économie du savoir n'auront plus qu'à sacrer leurs syndiqués à la rue et les remplacer par des scabs travaillant à distance grâce à cette merveille qu'est l'Internet.

La notion « d'établissement » est caduque. Personne ne peut nier ce fait. Même pas Pierre Karl Péladeau.

Hier, des membres de la commission ont demandé au patron de Quebecor s'il croyait que les dispositions actuelles concernant les briseurs de grève étaient toujours pertinentes en 2011.

Les acrobaties qu'a faites M. Péladeau pour ne pas répondre à la question étaient dignes d'un grand artiste.

Il a voulu détourner la conversation. Il s'est contenté de dire que la question nécessitait « une expertise particulière ». Selon lui, il était par contre « inapproprié » que la commission s'arrête à cette seule disposition.

Mais jamais il n'a répondu à cette simple question : est-ce que la notion « d'établissement » contenue dans la loi est encore pertinente à l'ère d'Internet?

Bien sûr qu'elle ne l'est plus. Tout le monde le sait. Et Pierre Karl Péladeau le sait tellement que son entreprise en profite allègrement depuis deux ans.

En fait, si le Code du travail avait tenu compte de la réalité actuelle du monde du travail, jamais le conflit au Journal de Montréal ne se serait à ce point éternisé.

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