Vers une réorientation de la politique étrangère américaine?

Obama envisagerait pour son deuxième mandat une réorientation de la politique étrangère qui risque de braquer la droite américaine et de désorienter celui qui est devenu un de ses principaux alliés, le Canada de Stephen Harper.

Des informations persistantes qui circulent à Washington indiquent qu’Obama a l’intention de nommer John Kerry pour remplacer Hilary Clinton au Secrétariat d’État et Chuck Hagel pour prendre en main le Secrétariat à la défense. Aux yeux des va-t-en-guerre ignares qui dominent le parti républicain, ce sont de dangereux radicaux.

Les deux hommes sont des réalistes conscients des limites de la puissance militaires. Ils savent pour l’avoir vécu qu’il est beaucoup plus facile d’entrer dans une guerre que d’en sortir. Kerry et Hagel, des héros de la guerre du Vietnam, se méfient du recours à la force pour régler les différends. Après avoir soutenu la guerre d’Irak, ils s’y étaient ensuite opposés. Le sénateur Kerry est devenu l’un des principaux opposants à la guerre au Congrès.

Chuck Hagel hérisse particulièrement la droite. C’est un républicain hors norme, élu sénateur deux fois pour représenter le Nebraska avant de se retirer de la politique. Le président Obama avait même considéré en faire son colistier en 2008. Certains placent l’ancien sénateur dans la lignée de Dwight Eisenhower, le président républicain qui, dans son discours d’adieu, a été le premier à dénoncer le complexe militaro-industriel.

Si effectivement Obama pense à lui pour la Défense, cela impliquera un changement de cap de sa politique étrangère. Le site Foreign Policy affirme qu’il n’est pas favorable à la stratégie actuelle de renforcement de la présence militaire américaine en Asie-Pacifique et de toute tentative d’«endiguement» de la Chine qu’il considère comme néfaste pour les deux pays et pour la planète entière. 

En plus de vouloir mener une politique étrangère moins interventionniste, Obama a peut-être une seconde idée derrière la tête s’il a l’intention de placer le républicain Hagel au Pentagone.

L’administration Obama prépare des réductions importantes du budget militaire et quoi de mieux que d’avoir un secrétaire à la défense républicain pour les appliquer, atténuant ainsi les critiques de l’opposition. Le F-35, si cher aux conservateurs canadiens, serait dans la mire des comptables d’Obama qui voudraient en réduire considérablement la commande. Cela augmenterait d’autant le coût unitaire de l’avion et le rendrait probablement impossible à acquérir par le Canada.

Les pressions sont énormes actuellement sur Obama pour qu’il renonce à nommer Hagel à la défense. Le lobby pro-israélien est mobilisé contre lui. On l'accuse d’antisémitisme parce qu’il a osé dire en 2008 en parlant du Congrès : «La réalité politique est que le lobby juif intimide beaucoup de gens ici» utilisant le terme «lobby juif» au lieu de «lobby pro-israélien».  Un écart de langage inadmissible aux États-Unis.

À ces accusations Hagel répond: «Je suis un sénateur américain. Je ne suis pas un sénateur israélien. Mon serment d'office est à la constitution des États-Unis. Pas à un président, pas à un parti, et pas à Israël.»

Le site pacifiste et libertaire Antiwar  signale que Hagel était en 2000 l'un des quatre seuls sénateurs américains sur cent qui ont refusé de signer une lettre exprimant leur soutien à Israël au cours de la deuxième Intifada palestinienne. En 2006, il  a demandé au président Bush de lancer un appel aux Israéliens pour qu’ils cessent immédiatement leur attaque contre le Liban. Bush et sa secrétaire d’État Condoleezza Rice sont restés silencieux. Et en 2009, Hagel a exhorté le président Obama à ouvrir des négociations directes avec le Hamas. Il est aussi favorable à des pourparlers inconditionnels directs avec l’Iran.

Compte tenu de ses positions, de la puissance et de l’influence de ses ennemis, il me paraît difficile de croire que le président Obama va nommer Chuck Hagel secrétaire à la défense. Sans prédire un virage carrément pacifiste de la politique étrangère américaine, on peut quand même en espérer une moins belliqueuse si Chuck Hagel et John Kerry entrent dans l’administration Bush.

Mais la «république impériale», l’expression est de Raymond Aron, aura toujours comme objectif central de maintenir tant qu’elle le pourra son hégémonie mondiale quels que soient les hommes et les femmes qui la dirigeront. C’est dans la nature même des empires universels.