Toronto, la risée de la planète grâce à Rob Ford

Les Torontois aiment beaucoup dire qu’ils vivent dans «a world-class city», une ville de classe internationale. Les Ontariens d’abord, et les autres Canadians ensuite, l’ont plutôt surnommé Hogtown (Porcville?) à cause de l’importance démesurée que ses habitants prétentieux attribuent avec une suffisance hautaine à leur gros bourg. Le fait qu’il abritait jadis le plus important abattoir à cochons du pays y est aussi pour quelque chose. On entend aussi «Pig city», mais beaucoup plus rarement.

Les francophones lui ont donné le qualificatif de «ville-reine»  peut-être pour se moquer de son caractère très british. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, une majorité de ses résidents provenait des îles britanniques. Les vieux Montréalais, dont la ville était réputée pour sa corruption, ses débits clandestins et ses bordels, l’appelaient aussi «Toronto-la-pure». Elle traîne la réputation d’être morne et ennuyeuse. Vous connaissez la blague. Premier prix du concours: une semaine à Toronto. Deuxième prix: deux semaines à Toronto…  

Rob Ford a changé tout cela. Maintenant, on parle de Toronto en première page des journaux de la planète. Le premier magistrat de Toronto est de tous les bulletins d’informations télévisés avec extraits sonores et visuels, s’il vous plait. Il y parle de la «chatte» (pussy) de sa femme et de ses cuites où, saoul-mort, il a consommé du crack avec des prostituées ou de membres de gangs de rue. Il n’en rappelle plus vraiment très bien. Les téléspectateurs du monde entier ont pu aussi le voir pendant 77 secondes complètement givré, titubant entre chaises, table et fauteuils vociférant des propos incohérents sur la façon qu’il allait sadiquement tuer quelqu’un.

Toronto peut, sans complexe, associer le mot «mondial» à son nom. Mais pas pour la classe. Pour la vulgarité et la dérision. Elle est devenue la risée de l’univers à cause du manque de classe de son maire. Bien sûr que la classe d’affaires et les élites sociales de la ville sont révulsées par les outrances du gros malotru qui les dirige. Mais les Torontois ordinaires semblent se reconnaître en Rob Ford. Un sondage effectué à la suite de ses dernières frasques indique qu’il jouit toujours du soutien de 42 pour cent des électeurs. L’homme de la rue se porte à la défense du goujat ventripotent aux gouailleries obscènes. 


Ça me rassure d’une certaine façon. Les Montréalais ne sont pas les seuls à choisir de drôles de zigotos comme maire. On n’a pas le monopole de l’incompétence et de l’irresponsabilité civique. Un équivalent local de Rob Ford, genre populiste mal dégrossi, pourrait-il se faire élire maire de Montréal? À la condition de s’afficher franchement comme fédéraliste et d’être proche du parti libéral, n’importe qui peut être élu maire de Montréal.

L’autre aspect du cirque Rob Ford qu’il faut souligner, c’est la retenue des médias torontois face à l’affaire. Bon, le Toronto Star a fait un excellent travail en sortant la nouvelle de la consommation de cocaïne du gros déchaîné. Mais regardez la circonspection avec laquelle Maclean’s, le National Post et Sun News ont couvert la sordide affaire. Imaginez si Rob Ford s’était appelé Bob Lajoie et si ça s’était passé à Montréal. Le fiel, la haine, le mépris que les médias torontois auraient déversés sur nous.

Dans leur recherche de raisons de se porter à la défense de leur protégé certains commentateurs de droite ont même dit qu’il n’avait pas fait pire que Junior Trudeau qui admet avoir fumé de la marijuana. Ça n’a vraiment rien à voir. Junior a une certaine classe. Oui, il est incohérent et son esprit est enfumé, mais ce n’est pas à cause du pot. Mais que voulez-vous. Rob Ford est la coqueluche de la droite ontarienne et du petit peuple de Toronto. À la recherche de cote d’écoute, Sun News (17 millions de pertes pour sa première année de fonctionnement)  va même lui donner une émission de télévision. Il faut ce qu’il faut.