Les États-Unis, le terrorisme, la torture et la justice

Alors que les États-Unis vivent présentement le traumatisme d’une nouvelle attaque terroriste d’envergure, cette fois l’œuvre de Tchétchènes (donc possiblement inspirés par l’islamisme radical), deux autres informations reliées au terrorisme sont passées presque inaperçues et méritent d’être rappelées.

Plus de 100 des 166 détenus de Guantanamo mènent présentement une grève de la faim, au point que 15 d’entre eux doivent être nourris de force. Les détenus sont maintenus en isolement après des troubles qui ont éclaté la semaine dernière.  

Le New York Times a publié une lettre ouverte de l’un d’eux. Il est incarcéré depuis plus de 11 ans sans procès. Travailleur étranger yéménite, il a été pris dans une razzia au Pakistan et remis comme terroriste aux Américains. Ce qu’il nie formellement. Il réclame simplement la possibilité de s’expliquer devant une cour de justice indépendante.

Obama, je le rappelle, s’était engagé durant la campagne présidentielle de 2008 à fermer la prison. Il ne l’a pas fait et n’a pas l’intention de le faire. Mais il pourrait au moins nommer un procureur indépendant pour réviser les dossiers de tous les détenus de la prison américaine à Cuba et recommander que certains soient déférés devant une cour régulière lorsqu'il semble y avoir un doute sérieux quant à leur implication dans une activité terroriste.

La présomption d’innocence n’existe pas pour les détenus de Guantanamo. Dans le climat actuel de panique antiterroriste, l’équité et le respect des règles de droit ne sont pas au centre des préoccupations des Américains.

On a aussi appris d’un rapport publié cette semaine par le Projet Constitution, un groupe de réflexion indépendant de Washington, que le recours à la torture par la CIA et les forces armées américaines était injustifié, contre-productif et nuisible à la réputation du pays. Et même qu’il encourageait les ennemis des États-Unis à soumettre leurs éventuels prisonniers américains aux mêmes sévices.

Les auteurs, des personnalités qui ont occupé des fonctions importantes dans l’administration ou les forces armées des États-Unis, rejettent aussi les arguments selon lesquels les mauvais traitements infligés aux prisonniers (comme la noyade simulée) n’étaient pas de la torture. Ils citent des cas où, dans des guerres passées, les Américains ont eux-mêmes poursuivi devant des cours martiales des individus qui s’étaient livrés à de tels actes sur des détenus. J'en avais parlé en 2010 dans une chronique intitulée: «On devrait soumettre Bush au supplice de la noyade simulée

Il y a deux mois le Open Society Justice Initiative  de New York arrivait à des conclusions semblables et dénonçait le Canada, le Royaume-Uni, l'Italie, l'Allemagne et la Suède pour avoir permis que des avions de la CIA transitent par leurs aéroports avec des prisonniers en route vers des centres de torture en Égypte, en Syrie, au Maroc et en Jordanie. C’était le fameux programme secret d’«extradition extraordinaire.» La CIA avait également ses propres centres de torture en Roumanie, en Pologne et en Lituanie en plus de ceux d’Afghanistan et de Guantanamo. 

Obama, le soi-disant homme du changement, refuse de «regarder en arrière» sur les crimes de son pays. Il a surtout méthodiquement évité de regarder la vérité en face: il n’a pris aucune initiative pour amener devant les tribunaux Bush, Cheney, Rumsfeld et les dizaines d’autres hauts dirigeants américains qui les ont autorisés ou y ont participé, d’une façon ou d’une autre.

À cet égard, lui et son administration se comparent à Poutine et à son régime qui, eux aussi, refusent poursuivre les responsables des abominations de Staline et de ses successeurs communistes. Les Français, eux, ont au moins reconnu officiellement les crimes commis durant la guerre d’Algérie, mais ils ont amnistié ceux qui les ont commis. Seule l’Allemagne, il faut le souligner, a eu le courage de faire face à son passé et d’amener la racaille nazie devant la justice, peu importe l’âge avancé des bourreaux.