La technologie rend-elle caduc le respect de la vie privé?

De Gaulle disait que les États sont des monstres froids. Ils sont aussi terriblement hypocrites. Rappelez-vous avec quelle vigueur Hilary Clinton condamnait la Chine pour la surveillance électronique de ses citoyens et dénonçait ses tentatives de pénétration des réseaux informatiques américains. Personne ne s’est donné la peine de lui demandé ce qu’elle pensait des écoutes mondiales auxquelles se livre la NSA et ses filiales du réseau «Five Eyes»: USA, GB, CAN, AUS, NZ. Hilary refuserait de commenter ou expliquerait que, dans ce cas, c’est pour la bonne cause. Celle de la liberté et de la démocratie.

Depuis que la CBC a révélé en se basant sur les documents du lanceur d’alertes Snowden, que le Canada avait collaboré avec la NSA pour espionner les chefs d’État du G20 à Toronto en 2010, le gouvernement fédéral a l’air de l’enfant qui s’est fait prendre la main dans le pot de biscuits. Ses porte-parole refusent de commenter l’information a invoquant la sempiternelle «sécurité nationale du Canada.»

Au même moment les médias internationaux révèlent que les membres de Five Eyes avaient introduit des logiciels-espions dans 50 000 réseaux informatiques à travers le monde.

Soulignons aussi en passant la mauvaise foi du directeur du Centre de la sécurité des télécommunications du Canada qui assure qu’aucune loi canadienne n’a été violée par l’organisme lors du G20. Bien sûr que non puisque les États-Unis opéraient depuis leur ambassade à Ottawa qui jouit de l’extraterritorialité. Les espions américains pouvaient donc agir à leur guise et transmettre ensuite l’information à leurs collègues canadiens sans enfreindre de lois canadiennes.

L’espionnage électronique de la planète par les pays anglo-saxons dure depuis la Deuxième Guerre mondiale alors que les Britanniques avec l’aide des Américains ont réussi à briser les codes de la machine à chiffrer allemande Enigma leur donnant ainsi un avantage décisif sur les pays de l’Axe. Après 1945, avec la venue de la guerre froide, le pacte UK-USA s’est naturellement étendu aux autres pays dirigés par élites blanches, anglo-saxonnes  et protestantes.

Jamais durant toute cette période les pratiques d’écoute électronique du CSTC  n’ont été l’objet d’un contrôle ou d’une surveillance quelconque des élus canadiens. Aucune loi n’encadre les activités du CSTC et son existence n’était même pas connue avant que la CBC la révèle dans un reportage des années 70, une quarantaine d’années après sa création.

À la suite d’une autre série de révélations médiatiques dans les années 90, le gouvernement fédéral a créé le poste de Commissaire du CSTC pour assurer le Parlement qu’il fonctionnait dans le cadre de la loi, mais même lui, dans son dernier rapport annuel, laissait entendre qu’il ne savait pas exactement tout ce qui pouvait s’y passer.

Le fait incontournable est que le réseau Five Eyes possède actuellement les moyens de surveiller tous les habitants de cette planète qui possèdent un téléphone ou un ordinateur en ligne.  

A-t-on passé le point de non-retour, peut-on encore espérer que des mécanismes de contrôle soient mis en place pour assurer le respect de la vie privée? J’en doute. Je crains que la technologie ait rendu obsolète tout espoir d’encadrer les capacités de surveillance des États scientifiquement avancés sur leurs propres citoyens et sur tous les humains qui utilisent des appareils de communication.

Peut-être aussi que les attentes des individus en ce début du second millénaire soient différentes de celles de leurs parents pour ce qui est de la protection de leur vie privée. Tout le monde ou presque en exhibe maintenant, sans retenue, les moindres détails sur Facebook ou ailleurs sur le Net.

La règle «Big Brother» s’applique: Attention tout ce que vous pouvez dire ou écrite dans un appareil électronique peut être enregistré, conservé et éventuellement retenu contre vous.