Saviez-vous qu'une bombe atomique avait éclaté au Québec?

C’est un des événements les plus dangereux et les plus insolites de la Guerre froide à s’être déroulé au Québec et, 63 ans plus tard ce mois-ci, les circonstances l’entourant sont encore largement inconnu des Québécois. Aucun rapport officiel n’a jamais été publié sur le sujet. L’affaire est restée secrète jusque dans les années 90. Je lui avais alors consacré un reportage à Radio-Canada basé sur les confidences d’un scientifique qui avait eu accès aux documents de l’époque. Curieusement, pratiquement personne n’avait repris la nouvelle.

Voici ce qui s’est passé. Le 10 novembre 1950, une détonation non nucléaire d’une bombe atomique s’est produite au sud-ouest de Rivière-du-Loup. Plusieurs habitants du village de Saint-André de Kamouraska ont observé un flash fulgurant au milieu du fleuve accompagné d’une épaisse fumée. Dans les jours suivants, le gouvernement fédéral a publié un laconique communiqué affirmant qu’un avion américain avait connu une avarie en volant au-dessus du Saint-Laurent en direction des États-Unis. Un point, c’est tout.

En juin 1950, la Corée du Nord, soutenue par l’Union soviétique et la Chine populaire, envahit la Corée du Sud. Le Pentagone craint que cela dégénère en guerre mondiale avec l’URSS qui possède maintenant l’arme atomique. L’ambassadeur américain à Ottawa demande (impose?) au premier ministre Louis Saint-Laurent de permettre le déploiement à Goose Bay, au Labrador, de quatre bombardiers nucléaires américains afin de les rapprocher de leurs cibles dans la région de Mourmansk qui abrite plusieurs installations aériennes et navales soviétiques. Sans même en parler à son cabinet, Saint-Laurent acquiesce.

Lorsque les Américains en novembre se convainquent que le conflit sera circonscrit à la péninsule coréenne, ils rappellent leurs bombardiers atomiques à Tulsa, en Arizona, où ils étaient basés.

En route, un des B-50 de l’US Air Force développe des problèmes de moteurs. Il est armé d'une bombe Fat-Boy comme celle qui a pulvérisé Nagasaki en 1945. Son commandant, de crainte de devoir faire un atterrissage d’urgence ou de s’écraser, prend la décision de faire sauter la bombe au-dessus du fleuve. Elle est réglée pour exploser à 2500 pieds (850 mètres) d’altitude. La détonation disperse 100 livres (45 kg) d'uranium U-238, contenu dans l’amorce de l’engin. Elle cause, selon les documents secrets des archives fédérales, une contamination radioactive de faible intensité dans la région. Son noyau de plutonium avait été enlevé par l’équipage et conservé à bord.

Le Pentagone avait donné à de tels accidents impliquant des bombes atomiques le nom de code « Broken Arrow ». Plus de trente ont été officiellement reconnus jusqu’à maintenant, dont deux au Canada. Un autre concernait un B-36 au large de la Colombie-Britannique.

Ottawa a toujours été extrêmement discret sur sa participation à la stratégie nucléaire américaine. On est chanceux au Québec d’avoir, pendant près de 50 ans, évité une catastrophe nucléaire avec toutes les armes atomiques qui proliféraient autour de nous.

Les Américains ont tordu le bras du premier ministre Lester Pearson pour qu’il consente au déploiement de missiles nucléaires Bomarcs à La Macaza,  près de Mont-Tremblant. Des missiles nucléaires Genies armaient les intercepteurs CF-101 basés à Bagotville, au Lac Saint-Jean, et ailleurs au Canada.

Des bombardiers stratégiques B-52 et FB-111, avec plus d’une centaine d’ogives nucléaires de grandes puissances, étaient prêts à décoller pendant des décennies de  Plattsburgh, N.Y., et de Loring, au Maine, pour frapper la Russie. Leurs avions utilisaient régulièrement l’espace aérien canadien. Lorsqu’il était maire de Montréal, Jean Doré avait fait adopter, à la demande de groupes pacifistes, une résolution en faisant une zone libre d’armement nucléaire. Il ne savait visiblement pas ce qui se passait à quelques dizaines de kilomètres au sud de la ville. La base de Plattsburgh aurait été parmi les premières cibles de missiles nucléaires en cas de conflit avec l’URSS. La région de Montréal et sa population auraient été englouties par le nuage radioactif ainsi provoqué.