Le roi Régis seul au monde

Régis Labeaume est un phénomène fascinant. Au moins autant que les pyramides d'Égypte et leur révolution citoyenne, éclipsées ce jeudi par l'annonce de la construction de ce nouvel amphithéâtre à Québec.

Il fallait le voir en conférence de presse auprès de Jean Charest, lui prodiguant accolade sur accolade tout en louangeant ses mérites. Quel autre élu du Québec aurait pu se permettre en ce moment autant de proximité avec notre premier ministre, embourbé dans les bas fonds de la controverse? Seulement le roi Régis, fort de la puissance d'un règne sans opposition à l'Hôtel de Ville de la vieille capitale.

Il s'est permis d'annoncer la construction d'un amphithéâtre de divertissement, financé en quasi totalité par l'argent des contribuables, alors que tous les gouvernements du monde sont plongés dans la tourmente financière. Que nos personnes âgées sont parquées dans des corridors d'urgence pour parfois y mourir, faute de soins. Que nos criminels pavoisent devant nos procureurs qui manquent de moyens. Et que l'on exige cette année des contribuables québécois une contribution moyenne supplémentaire de 1,000$ en taxes et frais de toutes sortes. Seul un souverain déconnecté de la réalité des marchés, mais bien ancré au sommet d'un piédestal faisant face à sa communauté agenouillée, pouvait se permettre une telle annonce à un moment si inopportun.

Les coûts préliminaires du projet défient eux aussi l'entendement. Une marge d'erreur avouée de 75% pour un coût mirobolant de 400 millions $, ce qui le placerait au deuxième rang des amphithéâtres les plus chers du monde, vu le coût par siège. Et pour le financement, on procède à l'envers, en plaçant la charrue bien devant les bœufs: on garantit totalement un financement des pouvoirs publics, alors que les négociations avec le secteur privé ne font que commencer. 187 millions $ flambés par la seule ville de Québec, qui jamais, au grand jamais, ne feront augmenter les taxes des concitoyens, selon le maire… La ville est pourtant lourdement endettée, avec un service de la dette qui représente déjà le cinquième de son budget, soit 225 millions $ annuellement. Ça prend toute une couronne d'or, sertie d'innombrables diamants, pour éblouir tellement ses ouailles qu'elles n'y voient que du feu en pensant voir disparaître ce montant dans une simple colonne de chiffres.

Et comment peut-on penser à une autre personne pour vanter les mérites d'un immeuble de bois, de briques et de mortier, quand pour l'instant, il n'y a aucune confirmation à l'horizon d'un quelconque spectacle permettant de justifier son coût astronomique de construction? Pire, pour les Jeux olympiques deux refus ont déjà été essuyés par manque de dénivelé, et côté équipe de la Ligue nationale de hockey, Gary Bettman a clairement indiqué que ce n'était pas sa priorité…

Mais malgré tout ceci, Régis le sérénissime brillait de fierté dans l'enceinte du vieux Colisée lorsqu'il a fait son annonce, parce qu'il sait, et s'en vante même, que tous ses citoyens sont derrière lui, à la vie comme à la mort.

Comment peut-on expliquer une telle omnipotence? La recette est simple. Elle a été élaborée par Jules César il y a deux millénaires. « Quand le peuple a faim, donnons-lui des jeux ». Sauf que l'empereur romain a compris un peu tard qu'une fois qu'on a épuisé tous les jeux, le peuple recommence à avoir faim, et réclame notre fin.