Une année de transition pour les Alouettes

Le vol qui nous ramenait de Toronto, après l’élimination des Alouettes à Guelph quelques heures plus tôt, était rempli à capacité. Outre les clients habituels, il y avait à bord deux groupes forts différents qui pratiquent pourtant un sport appelé football. Le premier groupe était composé d’une dizaine de joueurs et entraîneurs des Z’Oiseaux déplumés par les chatons tigrés de Hamilton, ceux qui ont pu s’enfuir assez rapidement du vestiaire pour partir une heure plus tôt que les autres. Encore sous le choc de la défaite, ceux-là n’avaient guère plus envie de se lancer dans de grandes conversations avec mon collègue Bruno Heppell ou moi-même qu’ils avaient probablement eu envie de dévoiler leurs états d’âmes aux journalistes qui les attendaient dans le vestiaire. Nous n’en avons pas pris ombrage parce qu’après une journée à geler sous des bourrasques de vents qui atteignaient jusqu’à soixante-six kilomètres à l’heure, nous n’étions pas vraiment très loquaces nous non plus.

L’autre groupe l’était davantage. Il s’agissait de la vingtaine d’adolescentes qui venaient de battre la Jamaïque 5-0 avant de perdre en tirs de barrage face au Mexique dans le tournoi CONCACAF visant à déterminer qui participerait à la Coupe du Monde féminine U-17 en mars prochain au Costa Rica. Ces gamines-là étaient drôlement plus souriantes parce qu’elles avaient obtenu leur laissez-passer en vertu de leur triomphe face aux Jamaïcaines. Lorsque l’avion s’est posé sur la piste de l’Aéroport de Dorval, le capitaine a souligné leur exploit et tous les passagers, incluant les joueurs des Alouettes, les ont chaudement applaudies. C’était leur jour de gloire, pas celui des professionnels qui pratiquent l’autre football, celui à trois essais. Ce n’est pas à tous les jours que de jeunes joueuses canadiennes de soccer peuvent se vanter d’avoir volé la vedette à des athlètes professionnels. Elles peuvent en être fières.
Vos Alouettes aussi peuvent, du moins pour la plupart d’entre eux, être fières malgré une saison bien en-deçà des attentes et une élimination trop rapide. Le vide laissé par ce Maestro qu’était Marc Trestman n’a jamais été comblé. Confiée à un fumiste du nom de Dan Hawkins, l’équipe montréalaise aura eu droit à un simulacre de camp d’entraînement qui aura laissé des séquelles jusqu’à la toute fin. Forcé de prendre la relève, sur l’insistance du propriétaire Bob Wetenhall, Jim Popp ne pouvait qu’essayer de colmater les brèches, de donner un semblant de cohésion à un livre de jeux qui avait été bâclé par l’homme en qui il avait placé sa confiance l’hiver dernier. Dans les circonstances, malgré des schémas parfois un peu trop simplistes, il aura suffisamment redressé la barre pour éviter la catastrophe. Avec un peu de chance les Alouettes auraient encore le droit ce matin de rêver à une conquête de la Coupe Grey dans deux semaines à Régina.

Ce fut une saison parfois décevante, mais ce fut aussi une saison encourageante à plusieurs égards. Avec le recul on parlera probablement de 2013 comme d’une année de transition chez les Alouettes, l’année où le vénérable Anthony Calvillo aura tendu le flambeau à Troy Smith, qui doit désormais être considéré comme son légitime successeur. Avec l’ancien lauréat du trophée Heisman, c’est une nouvelle ère qui s’annonce pour vos Z’Oiseaux. Si Calvillo était un quart méthodique et capable de dépecer une défensive de façon chirurgicale, Smith est un véritable fauve qui, lorsqu’il aura un vrai livre de jeux digne des rangs professionnels sous les yeux, a le potentiel de dévorer ses adversaires de façon bestiale et spectaculaire. Avec les Richardson, Green et Carter, il possède un redoutable trio de panthères qui feront certainement des ravages la saison prochaine. On ne s’ennuiera pas à regarder l’attaque de Troy Smith, surtout si on le confie à un coordonnateur offensif de premier plan, ce qui a fait cruellement défaut aux Alouettes cette saison.

Ce fut une saison en dents de scie mais souvent sauvée par la constance de l’unité défensive menée de main de maître par le coordonnateur Noel Thorpe, le seule de la douzaine d’entraîneurs des Alouettes qui n’a pas à craindre pour son emploi. Thorpe a non seulement été premier de sa classe, mais mérite que l’on étudie sérieusement sa candidature pour le poste d’entraîneur-chef que, l’espère-t-on, Jim Popp laissera vacant. Si l’on parvient à conserver le noyau de joueurs qui composait cette redoutable défensive l’an prochain, vous pouvez être certains que les Alouettes redeviendront l’équipe à battre dans la LCF. Je ne me souviens pas d’avoir vu un front défensif aussi agressif jumelé à une tertiaire aussi étanche dans le football à trois essais. Ce groupe de joueurs mérite toute notre admiration. Même quand Hawkins jouait à l’apprenti-sorcier, ils étaient imperturbables et savaient donner à leurs coéquipiers des occasions de gagner. Ils peuvent tous rentrer chez eux la tête bien haute.

2013 aura été une année de transition où pas moins d’une douzaine de jeunes loups auront donné un aperçu de ce qu’ils ont à offrir pour les années à venir. Il est peu probable que le formidable ailier espacé Duron Carter résiste à l’appel de la NFL en 2015, mais au moins les partisans des Alouettes pourront applaudir ses attrapés spectaculaires pendant au moins une autre saison. Et peu importe ce qui adviendra de Brandon Whitaker, les Alouettes ont en Tyrell Sutton un solide porteur de ballon. Mike Edem, choix de première ronde le printemps dernier, a révélé un immense talent qui ne demande qu’à être développé, le joueur de ligne défensive Michael Klassen aura aussi su exceller même si son travail sur le front se veut plus discret. Les Nicolas Boulay, Ed Gainey, Aaron Lavarias, Ben Wells et Michael Ola sont tous des jeunes qui ont vingt-cinq ans et moins et dont la présence donne énormément de profondeur dans le nid. Encore une fois cette année, Jim Popp aura confirmé son grand flair pour dénicher du talent aux quatre coins de l’Amérique.

Il ne lui reste plus qu’à dénicher un botteur de précision capable de réussir à coup sûr des placements de plus de trente verges, même contre le vent.