La NFL, la ligue du déni


Pendant près de dix ans la NFL a tenté, à l’aide d’études bidons menées par un comité dont les conclusions étaient convenues à l’avance, de minimiser non seulement le nombre de commotions cérébrales subies par ses joueurs, mais aussi leurs conséquences funestes, voire fatales. Lors d’une conférence à laquelle participaient aussi Gary Bettman et le commissaire de la NBA David Stern, le grand manitou de la NFL de l’époque, Paul Tagliabue, avait même clamé haut et fort que les commotions cérébrales dans la pratique du football n’étaient rien d’autre qu’une obsession des journalistes de masse. La réalité, affirmait-il, c’est qu’il n’y a de commotion cérébrale mineure dans la NFL que dans un match sur trois ou sur quatre. Pour les commissaires de la LNH et de la NBA, il était évident que c’était encore moins grave dans leurs univers respectifs.

C’est un médecin-légiste de la région de Pittsburgh qui a découvert le pot-aux-roses lorsqu’il a procédé à l’autopsie de Mike Webster, le centre qui a participé aux quatre conquêtes du Super Bowl des Steelers dans les années 70. Webster était toujours une célébrité à Pittsburgh lorsqu’il a succombé à un arrêt cardiaque en 2002. Le Dr Bennett Omalu, un jeune pathologiste qui participait à l’autopsie, a alors eu la brillante idée de jeter un coup d’œil plus approfondi au cerveau de Webster. Il a rapidement découvert que Webster souffrait d’une maladie dégénérative, ce que l’on appellerait bientôt l’encéphalopathie traumatique chronique (ETC). Grand amateur de football, le Dr Omalu était convaincu qu’il se devait d’en informer les autorités de la NFL qui, il en était convaincu, l’en remercierait chaleureusement. Ils lui ont plutôt fermé la porte au nez et formé leur propre comité bidon.

Le comité Mild Traumatic Brain Injury (Légers traumatismes causés par des blessures au cerveau) qu’avait mis sur pied la NFL en 1994 était dirigé par un ami de Tagliabue, le docteur Elliott Pellman, un rhumatologue qui n’avait aucune connaissance en neurologie. Médecin spécialiste à l’emploi des Jets de New York, le Dr Pellman était davantage un passionné de football qu’un grand scientifique. Dans les cercles fermés de la NFL on ne le prenait tellement pas au sérieux comme médecin qu’on l’avait surnommé le « concierge médical »! C’est tout dire sur le sérieux avec lequel on entendait mener des recherches sur les traumatismes crâniens dans le football professionnel.

Son successeur, le neurologue Ira Carsson, était pour sa part surnommé le « Docteur Non » parce qu’il ne cessait de nier dans les médias et sur toutes les tribunes que les commotions cérébrales pouvaient entraîner la démence, l’Alzheimer ou quelque maladie neurologique et dégénérative que ce soit. Lorsqu’il a été confronté aux découvertes du Docteur Ann McKee, la spécialiste en neuropathologie qui a disséqué et analysé les cerveaux d’une trentaine d’anciens joueurs de la NFL décédés des suites de maladies dégénératives provoquées par de trop nombreuses commotions cérébrales, Carsson et ses acolytes se sont efforcés de la ridiculiser. Ils continuaient de prétendre que non seulement c’était impossible mais que d’aucune façon ces maladies-là pouvaient pousser qui que ce soit au suicide. C’était il y a de cela seulement quelques années seulement. Il aura fallu une pluie de poursuites intentées par les familles d’anciens joueurs pour la NFL cesse d’être une ligue de déni.

Ce ne sont-là que quelques unes des  révélations publiées dans un livre publié cette semaine: «League of Denial», signé par Mark Fainaru-Wada et Steve Fainaru, deux excellents journalistes d’enquête qui se sont penchés sur la réalité des commotions cérébrales dans la NFL, une ligue qui, vous le devinerez, a systématiquement refusé de répondre à leurs questions ou de collaborer le moindrement aux recherches nécessaires à l’écriture d’un tel ouvrage. Et la réalité est quelque peu effrayante. Selon le Dr McKee, 33 des 34 cerveaux d’anciens joueurs qu’elle a examinés montraient des symptômes d’encéphalopathie traumatique chronique (ETC). Quand on lui demande quel pourcentage de joueurs actifs ou retraités mais toujours vivants qui en souffrent elle soutient qu’il s’agit assurément d’un pourcentage très élevé.

La lecture de cet ouvrage glace le dos. Vous êtes peut-être debout sur votre siège au Centre Bell quand éclate un combat de boxe entre deux joueurs de hockey mais je ne suis pas convaincu que vous auriez envie de laisser votre gamin pratiquer un sport violent après avoir lu ce livre. D’ailleurs lorsque le Dr Omalu a voulu alerter les autorités de la NFL sur sa découverte lors de l’autopsie de Mike Webster, un médecin à la solde de la ligue lui a répondu sèchement « si 10 pourcent des mères en viennent à croire que le football est dangereux, au point de pouvoir endommager le cerveau, ce sera la fin du football tel que nous le connaissons. » Je crois que cela s’applique certainement aussi au hockey qui continue de jouer à l’autruche en la matière en permettant, notamment, les bagarres.
Bien sûr, il est toujours plus facile de vivre dans le déni.