De la Coupe Grey au duel Manning-Brady



J’ai beau répéter que je suis athée, je n’en suis pas moins un être très pieux, un dévot dont la foi est inébranlable en cette religion où l’on vénère un ballon ovale en peau de cochon. J’ai beau être plutôt contre l’esprit carrément xénophobe de la charte de la laïcité que veut nous enfoncer dans la gorge le gouvernement Marois, il m’arrive moi aussi d’être choqué par des signes ostentatoires, mais pas nécessairement les mêmes qui font trembler les racistes d’Hérouxville ou d’ailleurs en province. La seule religion que je pratique avec ferveur c’est la religion du football.

Je communie aux autels du football à deux ou à trois essais, à ceux de la NCAA comme de la SIC, de LCF comme de la NFL. Ma religion me permet d’être polygame. J’y ai le droit d’applaudir les Stingers un jour, les Fighting Irish le lendemain, les Steelers le surlendemain. J’aurais souhaité voir les Alouettes à la Coupe Grey mais ça ne m’aura pas empêché de me réjouir de la victoire des Roughriders. Moi aussi j’aurais célébré avec eux dans les rues de Régina. Parce que si le football c’est ma religion, c’est aussi mon pays, ma seule véritable nation. Pour tout vous dire j’ai même applaudi dans mon salon la victoire du Rouge et Or samedi après-midi. D’ailleurs j’ai remarqué une fois de plus que quand l’adversaire n’est pas de Montréal, les partisans de l’Université Laval semblent beaucoup plus civilisés.

Depuis maintenant près de trois mois je visite quotidiennement ma vieille mère hospitalisée à l’Hôpital Général Juif, un établissement où je n’ai que de bons mots pour le personnel, des préposés aux bénéficiaires aux médecins en passant par les infirmières et infirmiers. Bien sûr que l’on voit plusieurs juifs porter la kippa, mais aussi des femmes musulmanes porter le hijab ou d’autres de confession hindoue porter le turban. C’est normal dans un hôpital juif situé en plein cœur du quartier multiethnique qu’est Côte-des-Neiges. Ça ne me choque pas, ça ne me dérange aucunement. Pour tout vous dire, avant l’arrivée de Bernard Drainville et de sa belliqueuse charte, je ne remarquais même pas tous ces signes ostentatoires qui donnent de l’urticaire à tous les démagogues de la province. Mais l’autre jour, j’ai été choqué par le signe ostentatoire d’un jeune infirmier de l’Hôpital Général Juif. Il portait un foulard aux couleurs des Cowboys de Dallas! Quel culot chers amis, quel culot! J’ai beau être polygame, les Cowboys je ne suis pas capable. J’ai d’ailleurs prié pour son âme damnée.

Blague à part, contrairement à ce que prétend mon bon ami Michel Villeneuve, nous n’étions pas les seuls, Bruno Heppell et moi, à regarder la 101e classique de la Coupe Grey. Juste chez moi, où j’avais organisé une petite fête pour l’occasion, nous étions une bonne douzaine à s’y intéresser. La bonne humeur des gens de Régina était des plus contagieuse, le match fut fertile en rebondissements et même si cela nous aura fait rater la première demie de cet autre duel entre Peyton Manning et Tom Brady, personne ne s’en est plaint. Au contraire, tout le monde savait qu’une avance de 31-6 à la mi-temps c’est moins que rien au football canadien. À l’inverse, quand j’ai annoncé que c’était 24-0 pour les Broncos en première demie de l’autre match, tout le monde était convaincu que c’en était fait pour Tom Brady et les Patriots. C’est d’ailleurs le gros avantage du football à trois essais sur celui que préfèrent nos voisins du sud. Une avance de trois touchés peut fondre comme neige au soleil dans la LCF alors que dans la NFL on commence à tuer l’horloge, pour reprendre l’expression consacrée, dès le début du troisième quart!

Ce qui n’empêchent pas les dieux du football, qui sont en passant dotés d’un formidable sens de l’humour, de parfois nous jouer des tours, juste pour ébranler nos convictions et nous rappeler qu’ils sont les maîtres. Dimanche soir nous en avons eu deux fabuleux exemples. Les Tiger Cats ont continué à multiplier les bourdes en deuxième demie, même s’ils vous diront qu’ils l’ont gagné 17-14, et ont prouvé hors de tout doute qu’ils n’étaient pas de calibre avec les vétérans des Roughriders. Bref, ils n’ont jamais véritablement été dans le match. Je demeure convaincu que nos Alouettes auraient donné beaucoup plus de fil à retordre à des Roughriders qu’ils avaient d’ailleurs battus à leurs deux dernières visites à la Coupe Grey. Une fois cette classique terminée je me suis tourné vers la messe de la NFL juste à temps pour voir Peyton Manning et les Broncos s’effondrer. Quatre touchés sans riposte suivis d’un placement et soudainement, l’avance de 31-21 des Patriots semblait encore plus insurmontable que l’avait parue celle de 24-0 des Broncos. Et pourtant…

Peyton Manning nous aura fait veiller plus tard que prévu en décochant cette passe de onze verges à Demaryius Thomas avec un peu plus de trois minutes à faire pour ultimement forcer une prolongation qui a bien failli ne pas faire de vainqueur. Dans ce match complètement fou, tous les clichés du football ont volé en éclat. Demandez à tous les experts quelles sont les clés pour gagner? Ils vous parleront d’abord du temps de possession. Dans ce cas précis les Broncos ont conservé le ballon pendant près de 39 minutes comparativement à 34 minutes pour la Nouvelle-Angleterre. Les experts vous diront aussi qu’il faut établir le jeu au sol. Les Broncos ont gagné ont couru 48 fois pour 280 verges tandis que les Patriots n’ont transporté le ballon que 31 fois pour 116 verges.

Ironiquement c’est tout le contraire qui s’est passé à Régina. Les Roughriders ont gagné en malmenant le front défensif des Tiger Cats toute la soirée en leur arrachant plus de 200 verges au sol tout en s’assurant que CJ Gable n’ait nulle part où courir pour forcer Henry Burris à se compromettre par la voie des airs plus d’une quarantaine de fois. Il a certes gagné la bataille aérienne avec 272 verges de passes mais aucune de touché et une interception fatale. Non seulement les Riders étaient la meilleure équipe sur le terrain mais aussi la plus intense, la plus combative et, malgré tout le respect que j’ai pour Kent Austin, la mieux préparée pour disputer la Coupe Grey du deuxième centenaire de la LCF. Et que dire de Korey Sheets, cet ancien porteur de ballon des Boilermakers de l’Université Purdue, qui s’est montré absolument impitoyable face à l’unité défensive des Tiger Cats, une équipe contre laquelle il a souvent connu du succès? C’est d’ailleurs contre Hamilton que Korey Sheets a réussi son tout premier touché en carrière dans la LCF l’an dernier.

Quand je vous disais que les dieux du football savaient se montrer drôlement taquins.