Adonis Stevenson n’a rien d’un super-héros


Je l’avoue d’entrée de jeu, je n’ai jamais été un fan d’Adonis « Superman » Stevenson. Juste ce surnom dont il s’est affublé suffit pour me rebuter. Les super-héros, je les appréciais quand j’étais jeune et que je n’avais rien d’autres à faire l’été au chalet que de passer le temps en feuilletant les bandes dessinées. Qu’un ancien membre de gang de rue qui a purgé une peine de prison pour proxénétisme, voies de fait et menaces trouve approprié de se faire appeler « Superman », ça me dérange beaucoup. Vous me direz qu’il a payé sa dette envers la société, que ce sont de vieilles histoires et je vous donnerai entièrement raison. Ce qui ne m’empêchera pas d’avoir du mal à l’applaudir ou à devenir un chaud partisan du boxeur qu’il est devenu, tout champion mondial soit-il.

C’est d’ailleurs là où j’ai le plus de mal avec le tribalisme québécois. Si Adonis Stevenson était américain, polonais ou breton, vous seriez totalement indifférents au titre mondial qu’il a défendu samedi face à Tavoris Cloud, lui-même un ancien tenant du titre IBF dont vous n’aviez rien à cirer. Mais Stevenson a grandi à Blainville. Il n’est plus haïtien, il est québécois. Qu’il ait abusé et même maltraité des jeunes femmes dans son passé vous importe peu puisqu’il est devenu champion du monde, qu’il a foudroyé Chad Dawson et donné une leçon de boxe à Cloud. C’est vrai qu’il a fait du beau boulot contre Cloud. J’ai même été un peu surpris de voir Stevenson aussi méthodique. Il n’a laissé aucune chance à son adversaire. L’amateur de boxe que je suis toujours a apprécié l’aspect technique du spectacle offert par Stevenson. Mais je suis tout de même resté de glace.

La boxe m’a pourtant fait vivre de grandes émotions dans ma vie. Je revois encore avec horreur mon ami Deano Clavet, sur le point de battre cet insupportable voyou qu’était alors Alex Hilton, baisser la tête pour donner un coup de pied sur son protecteur buccal tombé sur le ring. Il restait une trentaine de secondes au combat. Hilton a bondi comme un fauve pour lui passer rapidement le KO. Je me souviens des années de gloire de Sugar Ray Leonard, Thomas Hearns et Marvin Hagler et de combats qui m’ont tenu en haleine. J’ai encore en mémoire la nervosité qui me gagnait lors de certains combats impliquant Éric Lucas ou Lucian Bute, deux autres de mes préférés. Désolé, mais je ne ressens aucune émotion, je n’ai aucune palpitation quand Adonis Stevenson grimpe dans un ring.

Le vénérable Jean-Paul Chartrand Sr, que je considère comme un deuxième père, a un jour cessé de décrire en direct les combats locaux parce qu’il ne se sentait plus la force de voir « ses p’tits gars » risquer de subir une raclée aux mains de leurs adversaires. En vieillissant, il se sentait plus émotif. Je raconte l’anecdote parce que c’est grâce à lui, à l’époque où il était mon patron au Dimanche-Matin, que je suis devenu un amateur de boxe. C’est lui qui m’a appris à apprécier ce sport  que le cinéaste Pierre Falardeau considérait comme l’ultime tragédie grecque où deux hommes presque nus s’affrontent dans un duel dont un sera le héros et l’autre un homme déchu et humilié dans la défaite. Évidemment, il arrive que le « vilain » gagne, ce qui rend la défaite du « héros » encore plus insupportable pour ses partisans. La boxe, plus que tout autre sport, c’est une affaire d’émotions et de passion. J’ai déjà assisté à un gala de boxe de boxeurs « locaux » à Philadelphie et, même si j’ai vu quelques beaux combats, je m’y suis ennuyé à mourir.

Adonis Stevenson est toujours champion et ils sont nombreux à l’encenser. Don King a même osé le comparer à Muhammad Ali ou Mike Tyson. Il faut dire que King n’en est plus à une enflure verbale près. Autant j’ai adoré Ali, autant j’ai détesté Tyson. Je ne peux en dire autant de Stevenson. Il me laisse tout simplement indifférent. Est-il un grand champion? Je suis loin d’en être convaincu et ce malgré une impeccable prestation contre Cloud. Mais je reconnais que je suis peut-être biaisé dans mon évaluation. Voyez-vous j’ai beau admettre le principe de réhabilitation si cher à notre système de justice, je n’en ai pas moins de mal à effacer de ma mémoire certains crimes ignobles. Forcer des femmes à se prostituer, les traiter comme des esclaves sexuelles et utiliser sa force physique pour y parvenir, ce sont-là à mes yeux des crimes qui teintent mon jugement d’autrui. Je préfère les super héros qui ont, à mes yeux, certaines valeurs morales qui m’apparaissent essentielles.

C’est pourquoi j’ai du mal aujourd’hui à apprécier la science d’un boxeur qui autrefois s’entraînait sur des jeunes femmes sans défense. Il faut croire que je suis plus rancunier que la société qui elle se contente que toute dette lui soit un jour remboursée.