«God save Lise Thibault»

Invoquer l’immunité royale : c’est le dernier argument présenté par la défense de l’ancienne lieutenante-gouverneure Lise Thibault pour éviter son procès au criminel.

Un tour de passe-passe juridique aux allures de tentative désespérée puisque ce recours n’a aucune chance d’aboutir, selon Martine Valois, professeure de droit à l’Université de Montréal.

À première vue, le raisonnement est imparable. En tant que lieutenante-gouverneure, Lise Thibault a bel et bien été la représentante de la Reine Élizabeth II au Québec de 1997 à 2007. Or, dans un procès criminel, c’est Sa Majesté qui représente systématiquement la partie civile.

«The Queen can do no wrong»
Traîner devant un tribunal l’ancienne haute fonctionnaire de 73 ans accusée de fraude, d’abus de confiance, de production et d’usage de faux pendant qu’elle était en poste serait donc un non-sens juridique.

Selon l’avocat de Mme Thibault, Me Marc Labelle, cela reviendrait à ce que la Reine s’attaque elle-même en justice. Il invoque un principe de la common law qui vise à éviter cette impasse: «The Queen can do no wrong». La Reine ou ses représentants ne pourraient faire quelque chose de condamnable.

Ces prétentions ne sont pas totalement dénuées de fondement, explique Mme Lavois. «Il est vrai que dans les principes de la common law, l’État [et donc la Reine] bénéficie d’une certaine immunité. Les prérogatives royales présupposent que l’État est au-dessus de la Loi sauf stipulation contraire dans les textes.» Mais elle ajoute dans la foulée que le parlement anglais a amendé depuis 200 ans ce statut d’intouchable, pour rendre imputables le gouvernement et la royauté.

«Lise Thibault s’appuie donc sur un principe caduc», poursuit Mme Valois. En outre, si la maxime qu’elle invoque signifie que l’État et ses représentants ne peuvent pas être poursuivis au civil, ils peuvent en revanche l’être au criminel. «Heureusement! explique Mme Valois. Sinon, la Reine pourrait par exemple autoriser un crime en son nom.» 

Ensuite, il faut distinguer la personne de la fonction. «Lise Thibault est un simple officier nommé par le gouverneur général, et ce n’est pas la Reine qui lui a demandé de frauder, précise Mme Valois. Si on poussait ce raisonnement jusqu’au bout, tout représentant du gouvernement canadien serait protégé. Le premier ministre pourrait commettre un meurtre!»

Le principe de la Primauté du droit garantit que personne n’est jamais au dessus du crime. Et comme Mme Thibault n’est plus en poste, l’immunité qu’elle invoque n’est plus valide de toute façon.

En se lançant dans une requête aussi hasardeuse, la défense de Mme Thibault risque de l’humilier encore plus, considère Mme Valois. D’autant que le sujet est très glissant politiquement: si l’ex-lieutenante-gouverneure obtenait le moindre passe-droit en relation avec son ancien poste, ce serait du pain bénit pour les souverainistes et les adversaires de la royauté.

Mme Valois rappelle cependant le caractère complètement inédit de cette situation. Il n’y a aucun cas d’une jurisprudence semblable dans tout le Commonwealth. «On a critiqué certaines dépenses d’Adrienne Clarkson et de Michaëlle Jean (NDLR: deux anciennes gouverneures générales du Canada). Mais des fabrications de fausses factures, des dépenses à 100 % personnelles, c’est du jamais vu! C’est donc normal que cela donne lieu à des stratégies de défense jamais vues », conclut-elle.